Hier, une lecture, à la Librairie EXC à Paris, passage Molière, pour la sortie en collection poche au Astral Castor de Ce que m’a soufflé la ville de Milène Tournier, de Billets d’où de Laurence Vielle, d’Encrer l’invisible de Mélanie Leblanc (disponible début mars) et Les Yeux de la mouche de Laure Cambau. Quatre lectures enchanteresses, mais surtout quatre poètes, quatre univers, quatre esquisses de portraits :
Milène Tournier petite chose fureteuse yeux mobiles perçants antennes aux aguets souricette secrète je vous écoute je vous écoute mais vous ne m’attraperez pas !
Sa couleur : vert-bitume
Laure Cambau papillon en pantalon pianote ses vers désarticulés il y avait des sons et des contours
Sa couleur : rose thé-aneth
Laurence Vielle grande agitée énergique les autres les autres je vous donne, donne, donne je vous aime Vous prendrez bien un spéculos ?
Sa couleur : jaune impérial
Mélanie Leblanc soleil au milieu des pâquerettes poésie printanière courant alternatif positif Vous nous cueillerez bien un brin d’amour ?
Sa couleur : jonquille
Des spectateurs nombreux, pas assez de chaises pour toutes ces oreilles, et Jaccottet dit de mémoire par Christine Combescot, entre les poétesses, cet homme paysage. Il y avait aussi d’autres poètes venus écouter les poètes ou poétesses, – c’est resté en suspens -, l’enfant d’une poète ou poétesse, des amis, des amies, des paires de lunettes rondes, et Maud entre deux expositions, et Séverine entre deux résidences, et moi qui suis-je au milieu de vous ? Journaliste encore ? Non, poète ! Adoptez-moi… un peu.
Alexandra Anosova au Marché de la poésie de Virton, mars 2022.
La poésie d’Alexandra Anosova capture l’instant, mêlant références musicales, littéraires, cinématographie et lieux, bars, bistrots, pâtisseries, boutiques de fringues, au détour de places, de rues, avec leurs noms de rue, en empruntant des bus avec leurs numéros, des tramways, et parfois jusqu’à l’aéroport, pour regarder les avions partir ou pas, avec ou sans destination…
Et en musique de fond, en guise de jalon, des chansons, avec des bouts de parole, des œuvres d’art, avec une Mona Lisa avec qui nous prend par la main, qui déambule dans une ville réelle-imaginaire… Et Balthasar, le double d’Alexandra Anosova, qui annonce La nouvelle utopie anarchiste, comme un roi mage, une utopie ou plutôt un voyage au cœur de l’instant, une liberté d’aller et venir, de partir tout en restant là, un voyage au bout de la rue qu’il y a urgence à capturer en mots, à décliner en poème car « L’inspiration est partout », elle permet rêver d’ailleurs, de donner « envie de peindre n’importe quoi » parce que « la vie doit donner envie de vivre ».
On glane quelques éléments biographiques, réels ou filmiques : Alexandra Anosova a appris à lire très tôt, dès 4 ans, Dante, Hérodote, Aristophane, Sade… Le choc de l’école à 6 ans, déjà si loin de l’alphabet. Un événement survient lorsqu’elle à 10 ans, mais les poèmes n’en révèlent pas la teneur. Alexandra Anasova aime les gens, les rencontres, mais tous les gens, pas toutes les rencontres, mais aussi le café, la cigarette, chanter et déambuler dans les rues, avec son appareil photo. Et surtout son stylo Pilot pure liquid ink noir sans lequel point de « miracle de l’écriture », car écrire est bien le seul choix qui s’offre à Alexandra Anosova, une petite utopie anarchiste…
Les amis vivants ou morts « je pense à vous tous les jours Je vous mêle à mon présent Ainsi vous vivez en moi »
J’attends un miracle « La petite utopie anarchiste », « Le miracle C’est d’ouvrir les yeux le matin Et de voir Un jour nouveau Attendre un miracle C’est de ne pas savoir Ce que c’est »
La Petite utopie anarchiste, Alexandra Anosova-Shahrezaie, Editions du Cygne 2022.
Le sommeil est une anguille son lasso autour de mon cou insomnies ancolies tu entortilles – quel air respirer ? le sable dans le creux se faufile enterre les cauchemars un trou – le vent sec du désert
la mer sait elle se tait elle range ses rouleaux écume sa colère – Quoi contre le vague à l’âme ? un coquillage contre l’oreille retourne dans le ventre de la mère
L’eau limpide toujours en mouvement coule en cascade cristalline dans la montagne creuse son chemin entre pierres et pâturages un serpentin un lac de retenue terre craquelée presque sans eau en hiver l’homme contre le mouvement dans la vallée des vasques opalescentes des berges arrondies douces moelleuses la plénitude du lit dans la plaine jusqu’à la mer aniline de l’eau chavirée flux reflux dresse des vaguelettes des vagues de la houle roulis gris mousse outremer dans le vent parfois ce bruit de flux et de reflux de vie et de mort l’eau c’est la vie et la mort
Où est-ce moi ? Entre ces lignes qui s’entremêlent Dans le brouhaha de mes pensées Entre ces mots que vous lirez J’entends vos voix muettes Mâcher ces phrases Dans le silence et la solitude De celui qui donne sans retour J’attends la lueur du matin Un rayon une chaleur un havre Qui suis-je moi ?