Sans frontières

Sans frontières

Photo Andreas Samuelsson – Pixabay

Pris des piquants des barbelés du piment déposé ma peau
pour t’éloigner vous éloigner tous
langue s’y attarde avale les échardes

un torrent de larmes me traverse
au mois de mars

Pris des mots pas gros des grillons des cadavres des mues de vie sur le papier

Pris des chardons dans un vase
des bleus irradiants le cœur est doux

me traverse un torrent de larmes
au mois de mars

« Taken captives on the high seas to bear »

Pris tous ces maux les jeter de haut dans l’eau et les noyer

dans un torrent de larmes au mois de mars

©️ Laurence Fritsch

Milène, Laure, Laurence et Mélanie : Polaroïds après belles lectures

Hier, une lecture, à la Librairie EXC à Paris, passage Molière, pour la sortie en collection poche au Astral Castor de Ce que m’a soufflé la ville de Milène Tournier, de Billets d’où de Laurence Vielle, d’Encrer l’invisible de Mélanie Leblanc (disponible début mars) et Les Yeux de la mouche de Laure Cambau. Quatre lectures enchanteresses, mais surtout quatre poètes, quatre univers, quatre esquisses de portraits :

Milène Tournier
petite chose fureteuse
yeux mobiles perçants
antennes aux aguets
souricette secrète
je vous écoute je vous écoute
mais vous ne m’attraperez pas !

Sa couleur : vert-bitume

Laure Cambau
papillon en pantalon
pianote ses vers désarticulés
il y avait des sons et des contours

Sa couleur : rose thé-aneth

Laurence Vielle
grande agitée énergique
les autres les autres
je vous donne, donne, donne
je vous aime
Vous prendrez bien un spéculos ?

Sa couleur : jaune impérial

Mélanie Leblanc
soleil au milieu des pâquerettes
poésie printanière
courant alternatif positif
Vous nous cueillerez bien un brin d’amour ?

Sa couleur : jonquille

Des spectateurs nombreux, pas assez de chaises pour toutes ces oreilles, et Jaccottet dit de mémoire par Christine Combescot, entre les poétesses, cet homme paysage. Il y avait aussi d’autres poètes venus écouter les poètes ou poétesses, – c’est resté en suspens -, l’enfant d’une poète ou poétesse, des amis, des amies, des paires de lunettes rondes, et Maud entre deux expositions, et Séverine entre deux résidences, et moi qui suis-je au milieu de vous ? Journaliste encore ? Non, poète ! Adoptez-moi… un peu.

©️ Laurence Fritsch

Crêtes zigzag

je m’accoutume

à ces grandes étendues de buissons
qui s’achèvent
très loin en vapeur bleue 
en crêtes de vague
en écume

dans ces brumes
des murmures entendus
près des murs de grès anguleux
des pelures posthumes en zigzag

je me consume

© Laurence Fritsch

Photo : zigzags blancs, Wassily Kandinsky, 1922.

La Petite utopie anarchiste d’Alexandra Anosova-Shahrezaie

Alexandra Anosova au Marché de la poésie de Virton, mars 2022.

La poésie d’Alexandra Anosova capture l’instant, mêlant références musicales, littéraires, cinématographie et lieux, bars, bistrots, pâtisseries, boutiques de fringues, au détour de places, de rues, avec leurs noms de rue, en empruntant des bus avec leurs numéros, des tramways, et parfois jusqu’à l’aéroport, pour regarder les avions partir ou pas, avec ou sans destination…

Et en musique de fond, en guise de jalon, des chansons, avec des bouts de parole, des œuvres d’art, avec une Mona Lisa avec qui nous prend par la main, qui déambule dans une ville réelle-imaginaire… Et Balthasar, le double d’Alexandra Anosova, qui annonce La nouvelle utopie anarchiste, comme un roi mage, une utopie ou plutôt un voyage au cœur de l’instant, une liberté d’aller et venir, de partir tout en restant là, un voyage au bout de la rue qu’il y a urgence à capturer en mots, à décliner en poème car « L’inspiration est partout », elle permet rêver d’ailleurs, de donner « envie de peindre n’importe quoi » parce que « la vie doit donner envie de vivre ».

On glane quelques éléments biographiques, réels ou filmiques : Alexandra Anosova a appris à lire très tôt, dès 4 ans, Dante, Hérodote, Aristophane, Sade… Le choc de l’école à 6 ans, déjà si loin de l’alphabet. Un événement survient lorsqu’elle à 10 ans, mais les poèmes n’en révèlent pas la teneur. Alexandra Anasova aime les gens, les rencontres, mais tous les gens, pas toutes les rencontres, mais aussi le café, la cigarette, chanter et déambuler dans les rues, avec son appareil photo. Et surtout son stylo Pilot pure liquid ink noir sans lequel point de « miracle de l’écriture », car écrire est bien le seul choix qui s’offre à Alexandra Anosova, une petite utopie anarchiste…

Les amis vivants ou morts
« je pense à vous tous les jours
Je vous mêle à mon présent
Ainsi vous vivez en moi »

J’attends un miracle « La petite utopie anarchiste »,
« Le miracle
C’est d’ouvrir les yeux le matin
Et de voir
Un jour nouveau
Attendre un miracle
C’est de ne pas savoir
Ce que c’est »

La Petite utopie anarchiste, Alexandra Anosova-Shahrezaie, Editions du Cygne 2022.

Seule dans les draps

Seuls les draps se souviennent

de nos orgies

Seuls les draps gardent trace

de nos corps unis

Seuls les draps se bercent encore

de nos paradis


Ici, là et là

la carte ivoirine de nos amours enfouis


Seuls les draps se souviennent

de nos rêveries

Seuls les draps gardent trace

de nos décalcomanies

Seuls les draps voyagent encore

au-delà du fini


Ici, là et là

la carte jaunie de nos amours éconduits


Seule dans les draps

dans les plis de l’insomnie

la barque échouée

de nos désirs évaporés

je divague sans toi

le brouillard pour complice


lci, là et là

la carte ternie de nos amours enfuis


© Laurence Fritsch

Eau mouvement

L’eau limpide toujours en mouvement coule en cascade cristalline dans la montagne creuse son chemin entre pierres et pâturages un serpentin un lac de retenue terre craquelée presque sans eau en hiver l’homme contre le mouvement dans la vallée des vasques opalescentes des berges arrondies douces moelleuses la plénitude du lit dans la plaine jusqu’à la mer aniline de l’eau chavirée flux reflux dresse des vaguelettes des vagues de la houle roulis gris mousse outremer dans le vent parfois ce bruit de flux et de reflux de vie et de mort l’eau c’est la vie et la mort

© Texte et photo Laurence Fritsch

Des mots encore

Où est-ce moi ?
Entre ces lignes qui s’entremêlent
Dans le brouhaha de mes pensées
Entre ces mots que vous lirez
J’entends vos voix muettes
Mâcher ces phrases
Dans le silence et la solitude
De celui qui donne sans retour
J’attends la lueur du matin
Un rayon une chaleur un havre
Qui suis-je moi ?

© Laurence Fritsch